L’ergonomie au travail
Méthodologie pour la mesure de l’exposition au bruit professionnel
Le mesurage de l’exposition au bruit professionnel peut être une opération longue et complexe. C’est la raison pour laquelle il est préconisé de commencer par une estimation rudimentaire pour finir par une mesure précise et normalisée quand il y a un risque sûr ou probable.
Estimation
La première étape dans la mesure d’exposition au bruit est de s’interroger sur les situations de risques. Cette estimation permet aussi d’identifier les travailleurs susceptibles d’être exposés au bruit professionnel.
A travers une observation de l’activité de l’entreprise, il est possible d’estimer si le bruit est une gêne, voire un risque, pour les travailleurs. La première question est de savoir si la communication entre collègue est perturbée par le bruit.
Test | Interprétation en termes de niveaux de risques |
Devoir crier ou avoir des difficultés à se faire entendre par une personne située à moins de 1 mètre de distance. | Niveau 2 = risque certain |
Devoir crier ou avoir des difficultés à se faire entendre par une personne située à moins de 2 mètres de distance. | Niveau 1 = risque incertain |
Pouvoir communiquer normalement avec une personne située à 0,5 mètre de distance. | Niveau 0 = certitude d’absence de risque |
Tableau 1 : Test basé sur la possibilité de communiquer dans le bruit, afin d’évaluer l’ampleur du risque. Source : INRS
Le site de l’INRS propose un questionnaire simple pour identifier les risques d’exposition au bruit :
http://www.inrs.fr/publigen/Question_bruit.nsf/Question?OpenForm
Il est bien sûr essentiel de n’oublier personne lors de cette estimation. Il est d’ailleurs judicieux d’étendre cette première étape aux personnes présentent de façon non permanente dans la société.
Evaluation simplifiée
Elle n’est possible qu’à condition de pouvoir décomposer la journée de travail en plusieurs phases distinctes dont on connaît le niveau de bruit et la durée quotidienne. Elle nécessite au minimum un chronomètre et un sonomètre.
Par la suite, la méthode des points d’exposition est utilisée. Le principe de cette méthode consiste à attribuer un certain nombre de points en fonction du volume sonore et de la durée d’exposition. On additionne alors l’ensemble des points pour la journée pour savoir si on dépasse la limite. L’ensemble des points est récapitulée dans le tableau plus bas.
Exemple :
Dans une journée de travail, on définit deux tâches avec exposition au bruit professionnel :
- Une tâche de 6h à 80 dB(A) = 80 dB(A) pendant 4h + 2h = 16 + 8 = 24 points d’exposition.
- Une tâche de 1h à 90 dB(A) = 90 dB(A) pendant 1h = 40 points d’exposition.
On additionne : 24 + 40 = 64 points d’exposition.
Equivalence sur une journée de travail de 8h => 64 points d’exposition = 83 dB(A).
Une mesure précise et normalisée est donc nécessaire.
Avantage de cette mesure : elle permet d’identifier les tâches qui génèrent le plus d’exposition au bruit.
Limite de cette mesure : elle demande une décomposition précise des tâches et n’inclue pas les événements acoustiques rares, épisodiques.
De plus, cette méthode est insuffisante pour conclure au dépassement ou non des seuils d’actions. Elle indique simplement si un mesurage normalisé s’impose ou pas.
Tableau des points d’exposition pour différents niveaux de bruit et différentes durées :
Niveau de Bruit |
Durée d'exposition au bruit dans une journée de travail |
|||||
dB (A) | 8h | 4h | 2h | 1h | 30 min | 15 min |
80 | 32 | 16 | 8 | 4 | 2 | 1 |
81 | 40 | 20 | 10 | 5 | 3 | 1 |
82 | 50 | 25 | 13 | 6 | 3 | 2 |
83 | 64 | 32 | 16 | 8 | 4 | 2 |
84 | 80 | 40 | 20 | 10 | 5 | 3 |
85 | 100 | 50 | 25 | 13 | 6 | 3 |
86 | 130 | 64 | 32 | 16 | 8 | 4 |
87 | 160 | 80 | 40 | 20 | 10 | 5 |
88 | 200 | 100 | 50 | 25 | 13 | 6 |
89 | 250 | 130 | 64 | 32 | 16 | 8 |
90 | 320 | 160 | 40 | 40 | 20 | 10 |
91 | 400 | 200 | 100 | 50 | 25 | 13 |
92 | 510 | 250 | 130 | 64 | 32 | 16 |
93 | 640 | 320 | 160 | 80 | 40 | 20 |
94 | 800 | 400 | 200 | 100 | 50 | 25 |
95 | 1000 | 510 | 250 | 130 | 60 | 32 |
96 | 1300 | 640 | 320 | 160 | 80 | 40 |
97 | 1600 | 800 | 400 | 200 | 100 | 50 |
98 | 2000 | 1000 | 500 | 250 | 130 | 60 |
99 | 2500 | 1300 | 640 | 320 | 160 | 80 |
100 | 3200 | 1600 | 800 | 400 | 200 | 100 |
101 | 4000 | 2000 | 1000 | 500 | 250 | 130 |
Tableau 2 : Source - L’évaluation du risque d’exposition au bruit, L. Thiery + www.inrs.fr
Légende : En orange sont présentées les valeurs où le risque est probable et en rouge les valeurs où le risque est certain.
Dans les deux cas, une mesure précise et normalisée est obligatoire.
Mesurage d’exposition normalisé
Alors que les méthodes précédentes ne présentent qu’une estimation du risque, le mesurage normalisé s’applique dès que le niveau d’exposition quotidien est susceptible d’être proche des seuils d’actions réglementaires.
La norme de référence est la norme NF EN ISO 9612.
Elle exige une mesure en cinq étapes successives :
- Analyser le travail
- Sélectionner une stratégie de mesure
- Planifier et réaliser les mesures
- Contrôler les erreurs et les incertitudes des mesures
- Calculer et présenter le résultat avec son incertitude
- Analyser le travail
La norme exige une analyse du travail « dans tous les cas » afin de « fournir les informations nécessaires » pour :
- Décrire les activités de l’entreprise et les métiers des travailleurs.
- Définir si nécessaire des groupes d’exposition homogène.
Pour un groupe de travailleur, il est souhaitable que le nombre de tâches ne soit ni trop réduit, ni trop élevé.
- Déterminer une journée nominale pour chaque groupe de travailleurs.
La norme précise : « une journée nominale, comprenant des périodes de travail et des pauses, doit être déterminée en consultation avec les travailleurs et l’encadrement. Le travail doit être étudié afin d’obtenir une vue d’ensemble et une compréhension de tous les facteurs susceptibles d’influencer l’exposition au bruit ».
Il peut s’agir d’une « journée type » ou d’une « journée présentant l’exposition au bruit la plus élevée ».
- Identifier les événements acoustiques rares et intenses éventuels.
La norme précise une liste de questions afin d’identifier la présence d’évènements acoustiques rares.
Ces situations de travail peuvent-elles se produire ?
|
- Sélectionner une stratégie de mesure
Trois méthodes sont disponibles :
Par tâche : L’hypothèse est que les circonstances de l’exposition restent identiques quand différents travailleurs effectuent une tâche spécifique.
Par métier : L’hypothèse est que les circonstances de l’exposition sont comparables entre travailleurs d’un même métier, une d’une même fonction.
Par journée entière : Aucune hypothèse n’est effectuée.
Le choix d’une stratégie de mesure va dépendre de la complexité de la situation et des moyens de mesures disponibles.
Cependant, l’INRS propose un diagramme de recommandations utiles pour ce choix :
Si les cinq premières mesures diffèrent de plus de 6 dB(A), la norme impose de poursuivre le mesurage.
- Planifier et réaliser les mesures
Chaque entreprise est unique. Aussi, il est important d’adapter les mesures d’exposition au bruit en fonction de la tâche accomplie et des besoins.
Pour cela, il faut répondre à trois questions :
- Combien faut-il effectuer des mesures ?
- Quelle doit être la durée de chaque mesure ?
- Comment répartir les mesures parmi les travailleurs et pendant le temps de travail ?
Ensuite, il faut appliquer la stratégie de mesure choisie.
- Mesure par tâche
La norme spécifie que le mesurage doit « couvrir les variations du niveau de bruit au sein de chaque tâche dans le temps, dans l’espace et dans les conditions de travail ».
Le nombre minimal de mesure est de trois pour chaque tâche et en aucun cas, une mesure ne peut être inférieure à cinq minutes.
Si le bruit fluctue de façon aléatoire durant une tâche, « la durée de chaque mesure doit être suffisamment longue pour assurer que la valeur mesurée est représentative de l’ensemble de la tâche ».
Quand les trois mesures ont été réalisées et que leurs résultats diffèrent de plus de 3 dB(A), il est obligatoire d’effectuer trois mesures supplémentaires ou de revoir la stratégie de mesurage afin de réduire l’incertitude du résultat final.
- Mesure par métier
La norme impose de connaître le nombre de travailleurs, de même métier, composant chaque groupe d’exposition. Il faut ensuite respecter ses quatre étapes :
- Déterminer en premier lieu la durée totale des mesures en fonction de l’effectif.
- Le nombre de mesures doit être de cinq au minimum. Il est à choisir en fonction du nombre de mesure.
- La durée de la mesure doit être suffisante pour être représentative
- La répartition des mesures doit être aléatoire parmi les membres du groupe et sur la journée de travail.
Pour simplifier ces obligations, l’INRS a indiqué la durée totale minimale d’une mesure (nombre de mesures x durée de chaque mesures) à appliquer à un groupe d’exposition homogène comprenant G travailleurs :
- Mesure par journée complète
« Lorsque cette stratégie de mesurage est utilisée, il est nécessaire de s’assurer que les jours choisis sont représentatifs de ce qui est défini comme la situation de travail pertinente » pour évaluer l’exposition au bruit.
Le nombre de mesure doit être au minimum de trois journées complètes, ou « une partie de la journée aussi importante que possible couvrant toutes les périodes d’exposition au bruit » lorsque cela n’est pas possible.
Si au terme de la journée de travail, les résultats diffèrent de plus de 3 dB(A), la norme impose d’effectuer le mesurage de deux journées complètes supplémentaires.
- Contrôler les erreurs et les incertitudes des mesures
Avant d’effectuer les mesures il est recommandé :
- D’informer les travailleurs du but du mesurage et de leur expliquer la conduite à tenir pour éviter les erreurs de mesure.
- D’observer le travail effectué lors des mesurages
- D’effectuer des mesures du bruit ponctuelles complémentaires
Pendant les mesures, il est possible d’observer :
- La présence d’évènements acoustiques rares
- L’usage d’un mode opératoire particulièrement bruyant
- L’exposition à des bruits intenses
- La présence de bruits inutiles
Ces observations sont autant d’indices qui vous permettront de réduire l’exposition au bruit professionnel.
- Calculer et présenter le résultat avec son incertitude
La norme précise que le mesurage précis et normalisé ne peut être effectué qu’avec un dosimètre ou un sonomètre intégrateur. Elle exclue donc l’utilisation de sonomètres simples, non intégrateurs.
Il est recommandé de vérifier vos appareils avant et après chaque mesure à l’aide d’un calibreur acoustique. Il s’agit de comparer la valeur mesurée par l’appareil de mesure à la valeur référence du calibreur acoustique. Si l’écart est supérieur à 0,5 dB, les mesures effectuées doivent être annulées.
Après les mesures, il est nécessaire de :
- Vérifier l’absence d’artefacts de mesure
Un artefact de mesure est une fausse contribution incluse dans une série de mesures. La norme précise qu’il faut « veiller à éviter les fausses contributions ».
Il est recommandé d’étudier la série chronologique dès la fin du mesurage, si possible directement sur site. Elle représente des pointes sur la série de mesures.
Ces artefacts peuvent être la conséquence d’un choc, d’un frottement ou de l’installation de l’appareil. C’est la raison pour laquelle il est important d’observer le mesurage, d’impliquer les travailleurs dans cette démarche et de ne commencer les mesures qu’une fois le matériel installé.
- Contrôler l’absence de saturation de l’appareil
En cas de chocs métalliques intenses ou de certaines opérations particulièrement bruyantes, il peut y avoir saturation de l’appareil. Il faut en identifier la cause et renouveler, si nécessaire, le mesurage à cet instant.
- Présence d’une mesure supérieure ou inférieure aux autres
Si son origine est expliquée, il est possible de ne pas l’inclure dans le calcul du niveau de bruit (exemple : temps de pose) ou de la mesure comme une tâche identifiable isolée qui fera l’objet d’une étude spécifiques.
Si des niveaux d’exposition au bruit sont élevés, la norme impose de « qu’ils doivent faire l’objet d’une enquête, d’un rapport et de commentaires ».